Ma première nuit en prison

J’ai toujours été la honte de la famille. Tous et toutes ont fait de la prison. Pour leurs idées. Moi, jamais. Tout juste quatre jours et quatre nuits de garde à vue anti terroriste pour avoir, pendant trois ans, scolarisé (à l’école libertaire Bonaventure) et hébergé (chez nous) le fils de militants d’ETA. Au seul motif que les enfants ne sont pas responsables de leurs parents.

Je reviens de Réau. Une tôle toute neuve entre Paris et Melun. ¾ d’heure de RER (si on prend le bon wagon). Une gare au milieu des champs. Même pas un troquet. Une demi heure à pince pour rejoindre la prison. Pas une pancarte indicative. Une grosse pustule de béton et de grillages au milieu des champs. La cohorte ordinaire des bronzés et autres voilées avec des flopées de mômes. Nous étions les seuls blancs. Eux venaient pour un parloir d’une heure. Nous pour une UVF (Unité de vie familiale) d’une journée et d’une nuit. Nous étions « invités » par les parents de notre petit basque. Et oui, invités. Le petit n’allant pas fort, il nous fallait discuter longuement avec ses parents. D’où l’acceptation de leur invitation. Celle de « grands chefs » de l’ETA entôlés depuis treize ans. Impossible de refuser.

Je passe sur les détails habituels. Contrôles. Fouilles. Inspections…des fois que. Depuis treize ans, lors d’innombrables parloirs on est habitués à tout cela. Mais c’est usant. Car ça dure une heure ou deux. Et on n’a plus vingt ans. Alors, rien dans les mains, rien dans les poches, tout dans la tête. Comment vous appelez vous ? Michel Bakounine. Passez ! Of course, on leur balance nos vannes habituelles. Merci, jeune homme. Ils ne supportent pas mais ils ont encore un peu de respect pour nos cheveux blancs. Bref.

Les UVF (Unité de vie familiale) existent depuis une dizaine d’années. Ce sont des appartements (avec cuisine, salon, chambre) à l’intérieur de la prison. Cela permet (une fois par mois) de maintenir une vie de couple et de recevoir la famille. C’est une excellente idée mais qui ne se matérialise que dans quelques rares prisons.

Une journée et une nuit à discuter. De tout. Du petit. De politique. Je n’ai pas regardé une seule fois ma montre. Mais, putain, les matons qui passent de temps à autre. Et qui font tout pour te pourrir la vie. Tu as droit à ce qu’ils te fournissent un appareil photo numérique. Mais la batterie est déchargée. Tu as droit à regarder des DVD. Mais il n’y a pas le fil adéquat. Tu as droit à, mais… Minable. Stupide. Méchant… Mais systématique. Une logique.

Les détails qui tuent. Pour notre UVF de fin février 2017, les camarades avaient cantiné en novembre 2016. Dans les UVF on fait la bouffe, mais il faut la payer. Du genre une salade, 5,50 €. Et il manque toujours quelque chose. D’essentiel.

Of course, je ne regrette rien de ma première nuit en prison avec Mikel Albizu (Antza) et Maixol Iparraguirre (Anboto). Mais, putain, j’en ais pris plein la gueule. La prison, dans les conditions actuelles, pour des longues peines de plusieurs décennies, relève de la peine de mort. Les politiques y côtoient les voleurs de poules, les malades mentaux (les ¾ de la population carcérale) et les barbus. À Réau, les basques ont fait alliance avec les gitans contre ces engeances. Question de survie.

Je ne sais comment les camarades font pour tenir le coup. À ma deuxième nuit en prison je crois que j’aurais hésité. Pas longtemps. Entre me suicider et tuer un maton.

Lors de toutes les révolutions, on commence par ouvrir les prisons. C’est une bonne chose car les trois quarts des gens qui y sont n’ont pas lieux d’y être. Reste le problème des nuisibles fondamentaux. Comment les empêcher de nuire ? C’est un débat qu’il faut avoir. Sereinement. Et en toute connaissance  de cause. Mais, quoi qu’il en soit, Ni dieu, Ni maître, Ni prison !

Février 2017, Jean-Marc Raynaud