Ah, l’insurrection ! Celle que nous appelons tous de nos vœux. Celle des barricades de toujours. Celle des villages italiens, espagnols…nantie de quelques tromblons, décrétant le communisme libertaire… Bref, l’insurrection avec un grand I. Celle, magique, qui voit le peuple se lever soudainement comme un seul homme. S’armer (mais aujourd’hui avec quoi ?). Occuper les usines (plutôt que de les brûler). Autogérer la production (Laquelle ? Celle des usines d’armement, des centrales nucléaires, de la vérole agricole chimique… ?). S’embrasser à bouche que veux-tu de liberté, de solidarité, d’entraide, d’égalité… (Comme si tout cela pouvait tomber soudainement du ciel). Pendre haut et court tous les méchants patrons et autres capitalistes dont on ne connaît même plus les noms et les adresses. Bref, celle, virile et sanguinaire, de toutes les jacqueries et autres pseudo révolutions servant de piétaille au futur pouvoir dans sa lutte contre l’ancien.
Tout cela est beau comme du Rimbaud mais relève, aujourd’hui, en 2019, d’un mythe mortifère sonnant le glas de toute révolution sociale crédible au profit des pestes brunes de tous les populismes à front bas.
Qu’on me comprenne bien ! Loin de moi l’idée de condamner un soulèvement populaire quel qu’il soit. Quand le peuple se soulève et s’insurge, il a toujours de bonnes raisons de le faire. Car, c’est juste qu’il est au bout du bout.
Loin de moi, également, l’idée de condamner le concept d’insurrection au profit de celui du réformisme qui négociera toujours le nombre d’anneaux de la chaîne de l’esclavage qu’il prétend combattre. C’est juste que je ne fais pas de l’insurrection un mythe mais un aboutissement. Mais un aboutissement de quoi ?
En 1968, à Bordeaux, à un moment, il ne restait plus que 50 flics. Nous aurions pu les manger tout cru et prendre le pouvoir. Oui, mais pour quoi faire ? Telle était et sera toujours la question qui tue !
Oui, je sais, dans une situation exceptionnelle la prise de conscience des masses s’accélère spontanément. C’est vrai, mais… Mais l’histoire démontre que ce n’est pas suffisant.
Pour que cela soit suffisant, il est nécessaire que cent mille insurrections partielles, momentanées, radicales ou réformistes… aient eut lieux. Porteuses d’un autre futur en actes. D’un autre futur au plan personnel (rupture avec les valeurs dominantes), au plan social (mises en œuvres de solidarités et d’actions collectives), au plan philosophique (expressions radicales et sans concessions de certaines valeurs de liberté, d’égalité et d’entraide sur des modes organisationnels adéquats), au plan social (à travail égal salaire égal, refus de toute discrimination…), au plan économique (rien ne nous empêche aujourd’hui de nous regrouper en coopératives ouvrières de production, de consommation…), au plan écolo (rien ne nous empêche de boycotter les merdes mortifères qu’on nous incite à acheter et de lutter contre l’intolérable de la marchandisation et de l’extinction des conditions de la vie sur cette planète), au plan politique en initiant des modes d’organisation novateurs en adéquation avec la réalité de notre rêve de révolution sociale d’aujourd’hui…
Sans cela, sans ce fourmillement d’alternatives en actes, sans cette anticipation du futur, sans ces expérimentations de toutes sortes, nous serons incapables de tout à la fois détruire et construire. Car détruire sans savoir par quoi remplacer l’existant condamne à le reproduire.
Ais-je dit que small is beautiful ? Que nenni. Small est nécessaire mais pas suffisant. Small se doit d’apporter du sens global à ce qu’il réalise. Or, small se construit sur la méfiance du global. Et là est assurément le rôle du politique révolutionnaire. Non comme discoureur, mais comme acteur. En se mêlant au rêve en actes. En démontrant qu’une société libertaire se jauge non à l’identité libertaire de ses membres mais à son fonctionnement libertaire.
Tout cela pour dire qu’il faut regarder les choses en faces. 1848, 1870, 1917, 1936… c’est fini. L’insurrection à la mode de cette époque est révolue. Le rapport de force militaire et scientifique entre le pouvoir et le peuple est tel qu’il serait stupide et suicidaire que d’affronter le pouvoir sur ce terrain. Notre seule seul arme est celle de toujours, le nombre, et désormais, celle de l’intelligence. Vive, donc, l’insurrection, comme aboutissement d’innombrables insurrections non pas pacifiques mais non violentes.
Un seul bémol à tout cela. Notre insurrection et nos insurrections nécessitent du temps. Et c’est peu dire que c’est quasiment déjà trop tard. Sauf à être un imbécile sans espoir climato sceptique et autre idiot utile de l’insupportable et de l’intolérable. Mais il vaudra toujours mieux tard que jamais.